Bonjour Tristesse 01
Paul Eluard(La vie immédiate)
Adieutristesse Bonjour tristesse
Tu esinscrite dans les lignes du plafond
Tu esinscrite dans les yeux que j'aime
Tu n'es pastout à fait la misère
Car leslivres les plus pauvres te dénoncent
Par unsourire
Bonjour tristesse
Amour descorps aimables
Puissancede l'amour
Dontl'amabilité surgit
Comme unmonstre sans corps
Têtedésappointée
Tristessebeau visage.
PREMIÈREPARTIE
CHAPITRE I
Sur cesentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer lenom, le beau nom grave de tristesse. C'est un sentiment si complet, si égoïsteque j'en ai presque honte alors que la tristesse m'a toujours paru honorable.Je ne la connaissais pas, elle, mais l'ennui, le regret, plus rarement leremords. Aujourd'hui, quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervanteet douce, et me sépare
des autres.
Cet été-là,j'avais dix-sept ans et j'étais parfaitement heureuse. Les «autres» étaient monpère et Eisa, sa maîtresse. Il me faut tout de suite expliquer cette situationqui peut paraître fausse. Mon père avait quarante ans, il était veuf depuisquinze; c'était un homme jeune, plein de vitalité, de possibilités, et, à masortie de pension, deux ans plus tôt, je n'avais pas pu ne pas comprendre qu'ilvécût avec une femme.
J'avaismoins vite admis qu'il en changeât tous les six mois! Mais bientôt saséduction, cette vie nouvelle et facile, mes dispositions m'y amenèrent.C'était un homme léger, habile en affaires, toujours curieux et vite lassé, etqui plaisait aux femmes. Je n'eus aucun mal à l'aimer, et tendrement, car ilétait bon, généreux, gai, et plein d'affection pour moi. Je n'imagine pas demeilleur ami ni de plus distrayant.
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