Bonjour tristesse 02
A ce début d'été, il poussa même lagentillesse jusqu'à me demander si la compagnie d'Eisa, sa maîtresse actuelle,ne m'ennuierait pas pendant les vacances. Je ne pus que l'encourager car jesavais son besoin des femmes et que, d'autre part, Eisa ne nous fatigueraitpas. C'était une grande fille rousse, mi-créature, mi-mondaine, qui faisait dela figuration dans les studios et les bars des Champs-Élysées. Elle étaitgentille, assez simple et sans prétentions sérieuses. Nous étions d'ailleurstrop heureux de partir, mon père et moi, pour faire objection à quoi que cesoit. Il avait loué, sur la Méditerranée, une grande villa blanche, isolée,ravissante, dont nous rêvions depuis les premières chaleurs de juin. Elle étaitbâtie sur un promontoire, dominant la mer, cachée de la route par un bois depins; un chemin de chèvres descendait à une petite crique dorée, bordée derochers roux où se balançait la mer.
Lespremiers jours furent éblouissants. Nous passions des heures sur la plage,écrasés de chaleur, prenant peu à peu une couleur saine et dorée, à l'exceptiond'Eisa qui rougissait et pelait dans d'affreuses souffrances. Mon pèreexécutait des mouvements de jambes compliqués pour faire disparaître un débutd'estomac incompatible avec ses dispositions de Don Juan. Dès l’aube, j'étaisdans l'eau, une eau fraîche et transparente où je m'enfouissais, où jem'épuisais en des mouvements désordonnés pour me laver de toutes les ombres, detoutes les poussières de Paris. Je m'allongeais dans le sable, en prenais unepoignée dans ma main, le laissais s'enfuir de mes doigts en un jet jaunâtre etdoux, je me disais qu'il s'enfuyait comme le temps, que c'était une idée facileet qu'il était agréable d'avoir des idées faciles. C'était l'été.
Le sixièmejour, je vis Cyril pour la première fois. Il longeait la côte sur un petitbateau à voile et chavira devant notre crique. Je l'aidai à récupérer sesaffaires et, au milieu de nos rires, j'appris qu'il s'appelait Cyril, qu'ilétait étudiant en droit et passait ses vacances avec sa mère, dans une villavoisine. Il avait un visage de Latin, très brun, très ouvert, avec quelquechose d'équilibré, de protecteur, qui me plut. Pourtant, je fuyais cesétudiants de l'Université, brutaux, préoccupés d'eux-mêmes, de leur jeunessesurtout, y trouvant le sujet d'un drame ou un prétexte à leur ennui. Jen'aimais pas la jeunesse. Je leur préférais de beaucoup les amis de mon père,des hommes de quarante ans qui me parlaient avec courtoisie et attendrissement,me témoignaient une douceur de père et d'amant. Mais Cyril me plut. Il étaitgrand et parfois beau, d'une beauté qui donnait confiance. Sans partager avecmon père cette aversion pour la laideur qui nous faisait souvent fréquenter desgens stupides, j'éprouvais en face des gens dénués de tout charme physique unesorte de gêne, d'absence; leur résignation à ne pas plaire me semblait uneinfirmité indécente. Car, que cherchions-nous, sinon plaire? Je ne sais pasencore aujourd'hui si ce goût de conquête cache une surabondance de vitalité,un goût d'emprise ou le besoin furtif, inavoué, d'être rassuré sur soi-même,soutenu.
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